LE LONG CHEMIN DU RETOUR de Daniel Keene
La pièce se présente comme un vaste kaléidoscope de courtes scènes où s’entremêlent les temporalités. Certaines se déroulent sur le terrain des opérations (patrouilles, factions), d’autres en amont (enfance, recrutement), et la plupart en aval, ces dernières s’attachant à décrire la difficulté, voire l’impossibilité, pour ces soldate.es de se réadapter à la vie civile. D’emprunter le long chemin de retour, cheminement plus difficile pour certains que pour d’autres.
L’auteur excelle à nous dépeindre l’humanité dans ce qu’elle a de plus fragile. On retrouve dans ce texte toute la force de sa compassion, de sa colère aussi face à l’absurdité de la guerre et aux sacrifices demandés à des gens aussi jeunes et dont la vie sera à jamais brisée.
La pièce – écrite dans une langue tour à tour triviale et poétique, et toujours éminemment théâtrale – est structurée de telle manière qu’on passe avec fluidité d’une situation à l’autre, et que cette profusion n’empêche en rien de suivre par strates successives chacun des récits, dont les motifs s’entrecroisent et se répondent.
Outre le contrepoint comique apporté par les conférences assez jubilatoires d’un lieutenant-colonel sur la culture militaire, et malgré la noirceur du propos et des situations, certains des dialogues sont aussi très drôles, Keene ayant constaté au cours des ateliers combien les soldat.es avaient conservé un sens de l’humour à toute épreuve, auquel il s’agissait aussi de rendre hommage.
Liberté a été prise de joindre au Long chemin du retour, trois personnages de Toutes-Âmes du même auteur.
Ceux de Sylvia et de Rosie, la première étant prise d'une irrépressible logorrhée philosophique tandis qu’elle tatoue la seconde. L'humour de Daniel Keene déploie ici sa percutante singularité, en contrepoint à la mélancolie non dénuée d'espérance et de compassion dans laquelle baigne l'ensemble de son oeuvre.
Et celui de Philippa clocharde à la dimension shakespearienne, sorcière urbaine spectrale dont le long soliloque condense la dimension poétique de la pièce. Errance personnifiée du long chemin de toute vie.